Le gouvernement souhaite réduire l’utilisation des espèces et promouvoir les paiements numériques pour améliorer la collecte des impôts. Cependant, dans un pays où les habitudes culturelles, les infrastructures limitées et les coûts élevés des transactions électroniques freinent l’adoption de ces mesures, le succès est loin d’être assuré.
Depuis le 1er janvier 2025, les transactions en espèces supérieures à 100 000 francs CFA (environ 159 dollars) au Bénin sont soumises à une taxe de 1 %. Cette mesure a suscité la controverse mais souligne la volonté du président Patrice Talon de numériser l’économie et de réduire la prédominance de l’argent liquide dans le commerce. Le gouvernement entend améliorer la traçabilité financière et augmenter les recettes fiscales. Cependant, dans un pays où 75 % de la population n’a pas accès aux services bancaires, où les infrastructures financières sont limitées et où l’économie informelle représente près de la moitié du PIB, il s’agit d’une mesure ambitieuse.
Frustration face à la nouvelle taxe
Antoinette, une femme d’une quarantaine d’années vivant à Cotonou, a été prise au dépourvu par cette taxe. Un jeudi dernier, elle est allée déposer 900 000 francs CFA en espèces chez un notaire pour finaliser les formalités d’obtention du titre de propriété. À sa grande surprise, elle a dû payer 9 000 francs CFA de taxe sur le dépôt. « Pourquoi devrais-je payer pour utiliser mon propre argent ? », s’est-elle demandée, visiblement bouleversée.
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Elle a retiré l’argent directement de son compte bancaire pour éviter les tracas habituels : les chèques sont souvent rejetés par les administrations, les virements bancaires peuvent prendre trop de temps et de nombreuses entreprises refusent les paiements par mobile money. « Les paiements mobiles sont compliqués. Certaines entreprises ne les acceptent pas », explique-t-elle. Préférant payer en liquide, elle s’est retrouvée prise au piège d’une taxe qu’elle avait oubliée.
L’argent liquide règne toujours sur le marché de Dantokpa
Dans les ruelles animées du marché de Dantokpa, le plus grand du pays, l’argent liquide reste roi. Les commerçants continuent de dépendre largement des transactions en espèces. « Pourquoi devrais-je payer une taxe simplement pour utiliser mon propre argent ? », s’interroge Françoise, une vendeuse de tissus. Si la taxe ne s’applique pas aux dépôts bancaires, aux transferts d’argent mobile ou aux retraits, elle affecte les transactions importantes en espèces, en particulier lorsqu’un reçu est nécessaire.
Les options de paiement numérique étant rares sur le marché, les vendeurs craignent que la taxe ne complique la vie des commerçants. « Nous n’avons pas de terminaux de paiement ici et tout le monde préfère payer en liquide. Cette taxe ne fera que faire grimper les prix », a déclaré un vendeur de téléphone. Bien que le gouvernement fasse pression pour une économie sans argent liquide, de nombreux acteurs du secteur informel considèrent cet objectif comme lointain.
La taxe sur les paiements en espèces s’inscrit dans le cadre de réformes plus vastes visant à encourager les paiements numériques et à accroître les recettes fiscales. Depuis 2021, les entreprises assujetties à la TVA sont tenues d’utiliser des machines de facturation électronique certifiées (MECEF) qui enregistrent les transactions en temps réel et envoient les données directement à l’administration fiscale.
Au 31 décembre 2023, 157 039 dispositifs MECEF avaient été déployés auprès de 11 073 contribuables, selon la Banque mondiale. Cependant, l’adoption dans le secteur informel, qui représente une part importante de l’économie, reste faible.
Malgré les difficultés, les paiements électroniques ont connu une croissance significative au Bénin depuis que la pandémie de COVID-19 a accéléré la numérisation. Les données de la BCEAO montrent qu’entre 2020 et 2023, les transactions numériques ont augmenté de 68 %, passant de 28 millions à 47,2 millions de transactions. Leur valeur totale a presque doublé, atteignant 2 115 milliards de FCFA en 2023 contre 1 200 milliards de FCFA en 2020.
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Les services d’argent mobile comme MTN Mobile Money et Moov Money ont joué un rôle central, en particulier pour les populations non bancarisées. Le nombre de comptes de services financiers mobiles est passé de 2,6 millions en 2018 à 11,1 millions en 2023, soit une augmentation de 327 % en cinq ans. Cependant, les frais de transaction élevés et l’utilisation limitée dans les transactions commerciales restent des obstacles. Si le paiement des factures de services publics est devenu plus courant, l’argent mobile au Bénin n’a pas encore connu le succès généralisé de M-Pesa au Kenya.
L’utilisation des cartes bancaires est également en hausse, avec 1,33 million de cartes en circulation en 2023, contre 800 000 en 2020. Cependant, l’accès reste limité : le Bénin ne compte que 326 distributeurs automatiques de billets et 498 terminaux de paiement par carte, principalement concentrés dans les zones urbaines, laissant les régions rurales mal desservies.
L’emprise persistante de l’argent liquide
Mais la réalité est que l’argent liquide reste prédominant dans l’économie béninoise. « Avec l’argent liquide, il n’y a pas de frais supplémentaires, pas de problèmes techniques, c’est rapide et fiable », explique un vendeur au marché de Dantokpa. Les frais élevés des transactions numériques découragent les petits commerçants, dont les marges bénéficiaires sont déjà minces. « Les frais des cartes bancaires ou de l’argent mobile grignotent nos bénéfices. Personne ne veut payer ça », déplore un autre vendeur. Dans les zones rurales, où les infrastructures financières et numériques sont quasi inexistantes, l’argent liquide est souvent la seule option.
La rédaction de H&C magazines
Source: Agence Ecofin