Malgré une baisse des financements, 2024 révèle un écosystème africain en mutation. Entre méga-transactions, diversification sectorielle et émergence de nouveaux marchés, dix tendances dessinent l’avenir des start-up du continent.
En 2024, l’Afrique a vu les financements de ses start-up reculer, reflet d’un climat économique mondial marqué par la prudence et les incertitudes. A contre-courant d’une légère reprise mondiale, avec 368 milliards de dollars levés (+5% par rapport à 2023, selon Pitchbook), le continent enregistre une baisse notable, signe que les « hivers du financement » n’épargnent pas les marchés émergents. Pourtant, entre les méga-transactions qui captent l’essentiel des fonds et les petites levées souvent reléguées au second plan, l’écosystème africain ne manque pas de vitalité. Loin de céder au pessimisme, 2024 raconte une année de transformations : des secteurs comme la tech climatique gagnent du terrain, des marchés émergents s’affirment, et l’appétit des investisseurs, bien qu’atténué, reste palpable. Un portrait en demi-teinte, fait de promesses et de résiliences pour un continent dont les marges de progression restent intactes. Voici les dix enseignements majeurs à retenir.
- Une baisse notable des financements
Selon une analyse d’Africa: The Big Deal, une des newsletters de référence sur l’investissement dans les start-up en Afrique, les jeunes pousses africaines ont levé 2,2 milliards de dollars en 2024, soit une baisse de 25% par rapport à 2023 où 2,9 milliards de dollars avaient été mobilisés. Cette chute s’explique principalement par un début d’année particulièrement lent. Entre janvier et juin, 800 millions de dollars ont été collectés, le semestre le plus faible depuis 2020. Toutefois, un rebond au second semestre, avec 1,4 milliard de dollars levés, a permis de limiter la casse.
LIRE AUSSI: Start-up africaines: Hausse de 50 % des levées de fonds en octobre
- Le Kenya, leader incontesté, conforte sa place après avoir détrôné le Nigeria
Le Kenya a dominé le paysage en 2024, avec 29% des financements sur le continent, soit 638 millions de dollars. L’Afrique de l’Est, portée par ce géant du « Big Four », a attiré 725 millions de dollars au total, et consolide sa position de région la plus attractive pour les investisseurs pour la deuxième année consécutive. Des levées importantes dans la tech climatique, notamment par des entreprises comme d.light, SunCulture et Basigo, ont largement contribué à ces performances.
- Un rééquilibrage en Afrique de l’Ouest
L’Afrique de l’Ouest a retrouvé des couleurs en 2024, en devenant la deuxième région la plus financée avec 587 millions de dollars, soit 27% du total continental. Le Nigeria reste le moteur principal, avec plus de 400 millions de dollars collectés, mais des marchés émergents comme le Bénin (50 millions), le Ghana (68 millions), et la Côte d’Ivoire (33 millions) commencent à se faire une place. Cette diversité rend la région moins dépendante de son géant nigérian et attire un intérêt croissant.
- L’Egypte et l’Afrique du Sud en difficulté
Les deux poids lourds que sont l’Egypte et l’Afrique du Sud ont connu une année difficile. En Afrique du Nord, les financements ont chuté de 35%, en grande partie à cause d’un recul de 37% en Egypte, qui représente pourtant 84% des fonds levés dans la région. L’Afrique australe n’a pas fait mieux, avec une baisse de 36% et une quasi-absence de financements en dehors de l’Afrique du Sud, où 99,4% des fonds ont été concentrés.
LIRE AUSSI: Start-up africaines: 86% des fondateurs ont des problèmes de bien-être mental
- Des levées de fonds très concentrées
Selon Africa: The Big Deal, en 2024, les 10 plus grosses levées de fonds ont accaparé 51% des financements totaux, un record depuis 2019 et en phase avec les tendances de l’année précédente. Parmi ces leaders, on retrouve sans surprise Moniepoint et Tyme, rejoints par deux autres fintech, MNT-Halan et M-Kopa. Le secteur de la climate tech prend également une place de choix avec des acteurs comme d.light et Sun King, spécialisés dans le solaire, et Basigo et Spiro, positionnés sur le marché des véhicules électriques. Moove et Nuitée complètent ce palmarès. Fait révélateur, huit de ces entreprises ont leur siège dans l’un des pays du « Big Four » – Kenya, Nigeria, Egypte et Afrique du Sud.
Les chiffres confirment également la domination de ces marchés phares : parmi les 42 start-up ayant levé 10 millions de dollars ou plus en 2024, 86% sont aussi basées dans l’un des « Big Four ».
A l’opposé, les jeunes pousses ayant levé des montants plus modestes – à partir de 100 000 dollars – affichent une dynamique différente. Ces 345 entreprises, représentant « les 80% inférieurs », n’ont attiré que 11% des financements totaux en 2024. Si ce chiffre peut sembler dérisoire, il ne faut pas sous-estimer ces petites transactions. Elles incarnent la « longue traîne » de l’écosystème : les deals de demain se préparent souvent dans l’ombre des modestes levées d’aujourd’hui, conclut Max Cuvellier Giacomelli, cofondateur d’Africa The Big Deal dans son analyse.
- Une diversification sectorielle marquée
Si la fintech reste un pilier du financement des start-up, des secteurs comme la tech climatique et la santé numérique ont pris une place de plus en plus importante. En Afrique de l’Est, des entreprises telles que SunCulture et d.light ont bénéficié de financements conséquents, portées par l’urgence climatique et les besoins croissants en solutions durables. Dans le domaine de la santé, des start-up ouest-africaines comme Healthlane s’imposent comme des modèles d’innovation, avec des outils technologiques pour améliorer l’accès aux soins dans des régions souvent sous-équipées.
- Une nouvelle race d’investisseurs
En 2024, l’Afrique a vu émerger une nouvelle race d’investisseurs, loin des figures classiques du capital-risque. Des fonds à impact, portés par une mission sociale et environnementale. Agriculture, énergie, technologies durables : ces investisseurs redessinent les priorités, en pariant sur des solutions capables de changer la donne.
Mais ils ne sont pas seuls. Les gouvernements, souvent critiqués pour leur lenteur à s’adapter aux réalités du marché, ont surpris en multipliant les partenariats public-privé. De Kigali à Abidjan, l’heure est à l’expérimentation. Subventions, accès aux infrastructures, incitations fiscales : les Etats cherchent à séduire des start-up locales, devenues de véritables laboratoires d’innovations adaptées aux besoins des populations.
LIRE AUSSI: En Afrique, 17,3% des start-up sont fondées ou cofondées par des femmes
- Une baisse drastique des levées de fonds par instrument de dette
Bien que l’année 2024 ait été marquée par un recul des financements, certaines tendances positives émergent. La baisse des financements est principalement due à une contraction des levées de dette (-40 %), tandis que les levées en capital (-11%) montrent une certaine stabilité. De plus, le second semestre a été marqué par l’émergence de deux nouvelles licornes, Moniepoint et Tyme Group, qui confirment le potentiel de résilience et d’innovation du continent.
- Un basculement dans les attentes des investisseurs
L’« hiver du financement » amorcé en 2022 a laissé des traces. Dans un contexte de ralentissement économique mondial, les attentes des investisseurs ont également évolué. L’ère des levées spectaculaires sans garantie de rentabilité semble révolue. En 2024, les investisseurs ont privilégié des start-up présentant des modèles économiques solides et une trajectoire claire vers la profitabilité. Cette nouvelle exigence a poussé de nombreuses jeunes entreprises africaines à revoir leur stratégie, en limitant les dépenses non essentielles et en misant sur une gestion rigoureuse. Les levées de fonds importantes, comme celles de Moniepoint et Tyme Group, montrent que les investisseurs privilégient les projets bien structurés avec une vision à long terme.
- Une géopolitique des fonds en mutation
Les origines des financements changent. Si les Etats-Unis et l’Europe restent des pourvoyeurs majeurs de capitaux, l’Asie – notamment la Chine et Singapour – s’affirme comme un acteur clé dans l’écosystème africain des start-up. L’Afrique de l’Est, en particulier, bénéficie de cette attention asiatique grâce à des secteurs comme la tech climatique et les infrastructures numériques.
La rédaction de H&C magazines
Source: Agence Ecofin