À l’occasion du Choiseul Africa Summit, organisé à Cotonou fin février 2025, Sandra Amichia, cheffe de mission de la BOAD au Bénin, s’est entretenue avec Agence Ecofin. Elle revient sur l’évolution du portefeuille de la banque, ses priorités de financement et les perspectives pour maximiser son impact.
Agence Ecofin : Comment a évolué le portefeuille de la BOAD au Bénin ces dernières années ? Quels sont aujourd’hui les principaux domaines d’intervention de la banque dans le pays ?
Sandra Amichia : Le portefeuille de la banque s’inscrit naturellement dans le programme stratégique de la BOAD. Depuis 2021, nous avons adopté le plan Djoliba, qui vise à faire de la BOAD, à l’horizon 2025, une banque d’impact, avec pour ambition de transformer notre sous-région et de contribuer à l’intégration économique des huit États membres. Au Bénin, notre objectif est donc de traduire cette vision en actions concrètes.
Au cours des quatre dernières années, la BOAD a mobilisé environ 380 milliards de francs CFA en faveur de l’économie béninoise, aussi bien pour le secteur public que pour le secteur privé. Nous avons ainsi changé d’échelle : ces 380 milliards représentent près du tiers des investissements totaux réalisés par la BOAD dans le pays en 52 ans d’activité.
Sandra Amichia avec Louis-Nino Kansoun.
Il est également important de préciser que sur ces 380 milliards, 70% ont été orientés vers le secteur public et 30% vers le secteur privé. Nos encours, en faveur du secteur privé, ont ainsi doublé sur ces quatre dernières.
« Il est également important de préciser que sur ces 380 milliards, 70% ont été orientés vers le secteur public et 30% vers le secteur privé. Nos encours, en faveur du secteur privé, ont ainsi doublé sur ces quatre dernières. »
Cela illustre bien le fait que le Bénin est dans une phase de transformation économique, et la BOAD, dans sa mission de développement, accompagne l’État dans ses projets d’infrastructure, mais également le secteur privé.
En ce qui concerne nos axes d’intervention au Bénin, il faut en premier lieu citer les infrastructures routières et l’assainissement. Viennent ensuite l’agriculture et la sécurité alimentaire, les ressources naturelles et l’énergie bien entendu.
AE : Parmi les interventions phares, la BOAD a accordé en 2024 un financement de 10 milliards FCFA pour la construction de nouvelles unités de transformation de noix de cajou dans la GDIZ. Pourquoi avoir choisi ce projet ? Quel impact est attendu sur la filière et l’industrie agroalimentaire béninoise ?
SA : Dans le cadre de notre stratégie, notre objectif est de contribuer à l’augmentation de valeur dans nos pays, mais aussi à la création d’emplois en faveur des populations. En effet, la notion de développement s’accompagne d’une amélioration du bien-être des populations qui est elle-même tributaire de l’emploi. Ce projet de la GDIZ s’inscrit donc pleinement dans notre plan stratégique, tout en étant en parfaite cohérence avec le plan d’action gouvernemental du Bénin.
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Comme je l’indiquais, le Bénin est en pleine transformation économique. L’ambition est de passer d’une économie basée sur l’exportation de matières brutes à une économie industrielle, où tout au moins la première transformation des produits se fait localement. Par le passé, nous avons financé le secteur de la noix de cajou. À l’époque, les noix étaient exportées en l’état vers d’autres pays, notamment vers l’Asie. Aujourd’hui, une partie de la production est transformée localement.
« Lors de son entrée en exploitation, environ 3000 personnes ont été embauchées, dont 90% de femmes, principalement pour le tri des noix de cajou. »
Pour vous donner quelques chiffres, dans le cadre du projet de transformation de noix de cajou que nous avons accompagné, près de 3000 emplois ont été créés lors de l’exécution du projet. Lors de son entrée en exploitation, environ 3000 personnes ont été embauchées, dont 90% de femmes, principalement pour le tri des noix de cajou. C’est la preuve que nous répondons par ce financement à un double enjeu : promouvoir l’investissement local et favoriser la création d’emplois.
AE : Quels sont les autres projets structurants actuellement financés par la BOAD au Bénin, notamment dans les infrastructures, l’énergie ou les services ?
SA : Je pourrais vous citer deux projets phares. Le premier concerne les logements sociaux. Vous avez certainement suivi récemment le lancement de la commercialisation des premiers logements à Ouèdo (Abomey-Calavi). La BOAD a financé ce projet à hauteur de 100 milliards de FCFA aux côtés de l’État du Bénin, pour la construction de 3035 logements. Ce financement inclut également la viabilisation du domaine, c’est-à-dire le raccordement aux réseaux d’électricité et d’eau, ainsi que la mise en place des infrastructures de télécommunication, notamment la fibre optique.
Nous avons également contribué au programme d’assainissement de Cotonou et des villes secondaires, avec un apport d’environ 50 milliards de FCFA. Ce financement vise à assurer une meilleure gestion des eaux pluviales et à prévenir les risques d’inondations. Ces grands projets d’infrastructure engagés par l’État ont contribué à l’amélioration du cadre de vie des populations.
AE : Quel bilan faites-vous en matière d’avancées et de résultats concernant ces différents projets ?
SA : Je l’indiquais à l’instant, la mission principale de la BOAD est de contribuer à l’amélioration des conditions de vie de nos populations.
L’amélioration des conditions de vie implique emploi et bien-être social. Les projets que j’ai mentionnés, notamment le logement, sont un minimum indispensable. Avec l’afflux croissant des populations vers les centres urbains comme Cotonou, le déficit en logements s’est rapidement aggravé.
Le projet de Ouèdo apporte une réponse concrète à ce besoin en mettant à la disposition des Béninois des logements de qualité à des prix abordables, notamment en faveur des populations à revenus intermédiaires. La BOAD œuvre ainsi à l’amélioration des conditions de vie par ses financements à fort impact.
Les questions liées au cadre de vie, notamment l’assainissement, sont tout aussi essentielles. Par le passé, en saison des pluies, les inondations rendaient certaines parties de la ville difficilement accessibles. Dans certains quartiers, sortir de chez soi était un véritable défi. Aujourd’hui, grâce aux travaux en cours, le cadre de vie s’améliore considérablement.
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Au-delà de l’aspect social, ces projets ont également des effets économiques positifs. Une meilleure infrastructure signifie un environnement plus propice aux investissements et aux activités économiques, ce qui bénéficie à l’ensemble du pays.
AE : Jusqu’où va l’implication de la BOAD dans les projets qu’elle finance au Bénin ?
SA : Nous supervisons les projets que nous finançons. Nous ne nous limitons pas à l’approbation des financements. L’objectif est plutôt d’atteindre par ces financements les résultats de développement fixés.
« Notre priorité reste avant tout l’impact sur les populations, et nous veillons à ce que leurs attentes soient satisfaites. »
Il est donc de notre responsabilité, tout au long de l’exécution du projet, de nous rendre sur le terrain, de nous assurer que les travaux avancent conformément aux engagements pris et, surtout, que les objectifs en matière d’amélioration des conditions de vie sont atteints. Notre priorité reste avant tout l’impact sur les populations, et nous veillons à ce que leurs attentes soient satisfaites.
AE : En septembre 2024, la BOAD a lancé un programme de prêts adaptés aux catastrophes naturelles (PACAN), incluant le Bénin. Quel est l’objectif de cette initiative et comment fonctionne-t-elle ? Comment le mécanisme pourrait-il aider le Bénin à mieux faire face aux risques climatiques et sanitaires ?
SA : La résilience climatique est un enjeu majeur, et c’est d’ailleurs l’un des axes prioritaires de notre plan stratégique. Dans cette optique, nous avons souhaité innover en matière de financement climatique afin de proposer des solutions adaptées aux défis rencontrés par nos économies. C’est précisément dans ce cadre qu’a été lancé le projet PACAN, en collaboration avec la coopération allemande.
Lorsqu’une catastrophe naturelle survient, il est essentiel que l’État puisse réagir rapidement pour venir en aide aux populations affectées. Plus la réponse est tardive, plus les effets collatéraux sont importants. Ce programme PACAN, qui est un produit d’assurance paramétrique, permet aux Etats de prendre en charge en urgence ces catastrophes.
Contrairement aux assurances classiques – où, en cas de survenue du risque, un constat doit être établi avant toute indemnisation –, l’assurance paramétrique repose sur des indicateurs prédéfinis. Par exemple, en cas d’inondation ou de sécheresse à grande échelle, il est difficile, voire impossible, d’évaluer les dégâts site par site sur l’ensemble du territoire. Avec ce mécanisme, dès que certains paramètres météorologiques atteignent un seuil critique prédéfini, l’assurance considère automatiquement qu’il s’agit d’une catastrophe naturelle.
« Avec ce mécanisme, dès que certains paramètres météorologiques atteignent un seuil critique prédéfini, l’assurance considère automatiquement qu’il s’agit d’une catastrophe naturelle. »
En cas de survenue d’une catastrophe, l’assurance se substitue à l’État et s’acquitte auprès de la BOAD des échéances de prêts dues sur une période de 3 à 6 mois. Les ressources ainsi dégagées en faveur de l’État, sont redéployées en priorité vers les populations affectées.
Ce projet est actuellement en phase pilote pour une période de deux ans auprès de quelques-uns de nos États membres, dont le Bénin. Si cette phase s’avère concluante, le programme sera progressivement élargi aux autres pays. Nous avons bon espoir, dans la mesure où nous avons enregistré pendant cette phase test un premier cas de déclenchement au Togo pour lequel le mécanisme a parfaitement fonctionné.
AE : Y a-t-il de nouvelles initiatives ou instruments financiers en cours pour mieux accompagner l’État béninois et le secteur privé ?
SA : Oui, tout à fait. La BOAD s’efforce d’être à l’avant-garde en termes de solutions innovantes aux enjeux majeurs des États membres et de leurs populations. Nous travaillons en permanence à améliorer nos produits et nos mécanismes de financement afin d’apporter des réponses adaptées aux besoins du secteur privé et du secteur public.
Concernant le secteur privé, nous avons structuré notre approche autour de plusieurs catégories d’acteurs : les banques locales, les grandes entreprises et les petites et moyennes entreprises (PME). Aujourd’hui, la BOAD finance directement les grandes entreprises. Cependant, nos seuils d’intervention ne nous permettent pas d’adresser directement les petites et moyennes entreprises. Nous mettons en conséquence en place des lignes de refinancement au bénéfice des banques locales, afin qu’elles puissent jouer ce rôle de relais dans le financement des PME.
Ces dernières années, nous avons également promu des structures comme BOAD Titrisation et la Caisse Régionale de Refinancement Hypothécaire (CRRH), qui visent à apporter des solutions aux banques locales, notamment en matière de refinancement de leur bilan. En effet, les banques locales sont tenues de se conformer aux ratios prudentiels imposés par la règlementation bancaire. Nous développons actuellement un projet qui leur permettant de céder une partie de leur encours de dette et de la titriser – autrement dit, de transformer ces créances en obligations revendues sur le marché financier.
« Nous développons actuellement un projet qui leur permettant de céder une partie de leur encours de dette et de la titriser – autrement dit, de transformer ces créances en obligations revendues sur le marché financier. »
L’opération permet aux banques de se désengager d’une partie de leur portefeuille de crédits et de libérer ainsi des ressources pour financer de nouveaux projets en faveur des petites et moyennes entreprises. Ces initiatives innovantes de la BOAD concourent à renforcer le financement du secteur privé.
S’agissant du secteur public, le grand défi est d’accroître notre capacité d’intervention. Comme je l’ai mentionné plus tôt, notre plan stratégique vise à renforcer l’impact de nos interventions. Nous avons en conséquence augmenté notre capital et procédé à des levées de fonds. Il y a quelques semaines, nous avons d’ailleurs bouclé avec succès une émission d’obligations durables pour 500 millions de dollars sur une période de 30 ans, afin de renforcer nos fonds propres.
Tous ces efforts de renforcement de nos capacités financières nous permettront d’améliorer notre soutien à l’économie, notamment aux États qui ont d’importants besoins en matière d’infrastructures, d’agriculture, de sécurité alimentaire, d’énergie et de développement du secteur privé. Ces secteurs nécessitent des financements toujours plus conséquents. Nous mobilisons donc des ressources de divers horizons, avec une priorité sur des financements à long terme, afin de répondre au mieux aux besoins de nos États.
Sur la période de notre Plan stratégique 2021-2025 dénommée Djoliba, nous avons prévu d’apporter 3300 milliards de francs CFA aux huit économies qui composent l’UEMOA. Alors que nous sommes dans la dernière année d’exécution de notre Plan stratégique, je puis vous affirmer que la Banque met tout en œuvre pour que ces objectifs soient effectivement atteints.
AE : Quelles sont les conditions pour que le Bénin puisse maximiser les opportunités de financement auprès de la BOAD ?
SA : Le Bénin est un modèle en matière de transformation économique dans la sous-région, et à ce titre les conditions sont déjà réunies.
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Pour la BOAD, il est essentiel d’être au cœur de la politique de développement économique du pays. Cela n’est réalisable qu’en finançant des projets structurants et stratégiques, à fort impact sur la vie des populations. La BOAD continuera de jouer pleinement son rôle en accompagnant le Bénin dans ses efforts de développement économique et social.
« Le Bénin est un modèle en matière de transformation économique dans la sous-région, et à ce titre les conditions sont déjà réunies. »
Comme mentionné précédemment, nous avons opéré un changement d’échelle dans nos interventions. Sur les quatre dernières années, nous avons injecté près du tiers de nos investissements globaux au Bénin en 52 ans d’existence. Cela traduit clairement notre ferme engagement à impacter durablement le développement du pays et à laisser une empreinte forte dans l’accompagnement des programmes gouvernementaux.
Nous allons poursuivre dans ce sens, car les besoins restent considérables. Le président d’Africa 50 le rappelait lors de la cérémonie d’ouverture du Choiseul Africa Summit, ces besoins sont urgents, et il est crucial d’agir avec rapidité. La BOAD est déjà pleinement engagée dans cette dynamique afin que l’avenir des Béninois soit davantage prospère. Et cet avenir se prépare dès aujourd’hui, en finançant tous les secteurs stratégiques identifiés dans le plan d’action gouvernemental du Bénin.
Par la rédaction de H&C magazines
Source: Agence Ecofin